Grands-parents et petits-enfants, une (pas si) brève histoire

Il est important de « Parlapapi ».

Oui, mais Pourquoi ?

Parce que la relation petits-enfants grands-parents est importante.

Oui mais une fois encore, pourquoi ? Et depuis quand d’ailleurs ? Cette relation a-t-elle toujours été comprise comme elle l’est aujourd’hui ? Les grands-parents ont-ils toujours été des « papi gâteau » et des « granny framboise » ?

Pas tout à fait, et c’est pourquoi nous sommes partis à la recherche des origines du modèle familial actuel pour comprendre sa source, ses forces, et sa symbolique. Tenez-vous bien, c’est un beau voyage qui vous attend.

 

L'idée de "grand-parent", pas si "vieille" ?

On a tendance à s’imaginer que la problématique n’est que très récente, pour des raisons démographiques simples. Quand on ne vit pas vieux, on ne connaît pas ses-petits-enfants.

En réalité, déjà au 18ème siècle, les petits-enfants avaient 50% de leurs grands-parents en vie à leur naissance, et encore 10% une fois atteints les 20 ans … Ce n’est pas beaucoup c’est vrai, mais si l’on prend en compte le fait que nous avons en général 4 grands-parents, on comprend que les grands-parents étaient une réalité pour une grande partie des jeunes au XVIIIème siècle et que la relation petits-enfants – grands-parents était un sujet important.

 

Education et protection

Au début du XVIII ème siècle, notamment, le rôle de ces grands-parents pouvait être tout à fait essentiel, notamment en ce qui concerne la prise en charge de l’éducation des petits-enfants. Par exemple, dans le cas du décès d’un des parents. Tout particulièrement dans le cas du décès de la mère, où les grands-parents prenaient le rôle à la fois d’éducateur mais aussi de protecteur de l’enfant, les remariages pouvant générer des menaces pour l’enfant, provenant de la nouvelle femme et belle-mère et des intérêts de ses enfants à venir.

Cohabitation

En ce qui concerne la cohabitation au quotidien, il est intéressant de remarquer une séparation de la France entre Nord et Sud très nette historiquement. Les villes étudiées dans le sud de la France, comme Laguiole ou Nogaret comportaient plus de 40% de petits-enfants vivant dans le même foyer que leurs grands-parents à l’inverse du Nord, suivant un modèle plus nucléaire, avec moins de 3% de cohabitation la plupart du temps, ce qui n’empêchait pas de nouer des relations très proches, le voisinage étant bien souvent la règle dans des sociétés où la mobilité géographique rien à voir avec ce que l’on observe aujourd’hui.

Fonction, relation et évolutions

Le modèle des « grands-parents gâteaux » émerge en France au XVIIIème siècle et est symptomatique de la révolution idéologique du siècle des lumières. Plus précisément, la transition est en réalité une conséquence logique de la progressive laïcisation de toutes les tranches de la société, qui fait émerger de nouvelles aspirations, plus humanistes, au sein des populations vieillissantes. Pour reprendre les terminologies de David G. Troyanski, on troque la vision « augustinienne » de la grand-parité pour une vision « Cicéronienne », et cette mutation est capitale pour comprendre la conception contemporaine de la relation entre grands-parents et petits-enfants. En d’autres termes, on oublie le retrait préconisé par le passé aux plus âgés, qui permettait de se tourner entièrement vers Dieu en se désintéressant des choses du monde, et on recherche à présent activement la paix et la consolation de la vie de famille et de l’investissement émotionnel auprès de ses enfants et de ses petits-enfants.

Cette émergence de la grand-parité douce et aimante se systématise tout au long du XIXème siècle, pour s’imposer largement comme une évidence, et se cristallise au travers de la littérature et de l’ensemble de la production culturelle de l’époque. Un exemple émouvant de la force de la relation petits-enfants grands-parents est à chercher dans le recueil de poème « L’art d’être grand-père » de Victor Hugo, où l’on retrouve dans toute sa beauté et sa simplicité cet amour gratuit des aïeuls pour leurs descendants, dans des poésies simples et touchantes comme la sieste, ou Je prendrai par la main les deux petits enfants.

C’est la victoire du lien petits-enfants grands-parents conçu comme lien de tendresse affective et non-pas d’autorité éducative.

 

Cette transition de modèle de grand-parentalité est, en outre, symptomatique d’une lutte sociétale plus large, celle du modèle de société bourgeois contre le modèle de la noblesse, d’ailleurs partagé par les classes populaires, par nature plus traditionnel. Le modèle bourgeois tente en effet d’équilibrer la quête de la continuité familiale avec les aspirations individuelles de ses membres. Les grands-parents deviennent des guides et des conseillers, symbolisant par leur seule présence l’importance de la famille, de ses valeurs et de son histoire, sans toutefois jouer le rôle de de dirigeant tyrannique que lui prêtent les sociétés plus traditionnelles. Il est le garant de la continuité, certes, mais n’impose pas la ligne droite comme seul modèle de filiation et autorise des courbes harmonieuses au sein de sa lignée.

 

Conclusion

Ce modèle de grand-parité a continué à exister jusqu’à aujourd’hui, au point qu’il est devenu une évidence telle qu’il existe même une journée nationale en son honneur, la fête des grands-mères.

Pourtant, comme on le voit, ce modèle familial a traversé de puissantes métamorphoses au cours de 200 dernières années, suivant et cristallisant des révolutions de conscience aussi fortes et emblématiques que le siècle des lumières et l’avènement de l’humanisme.

Nos papis et nos mamies, dans nos familles, sont aujourd’hui les garants de la continuité, de la tradition et de l’histoire, des conseillers intimes et avisés, et malgré cela les plus fidèles alliés de nos libertés individuelles. Alors prenons le temps d’entretenir ce lien si riche et ensemble, Parlons à papy.

 

Les grands-parents en France du XVIIe siècle au début du XXe siècle, Vincent Gourdon